Pourquoi la marche pour l’environnement de vendredi dernier n’a pas servi à grand chose

Jean-Michel Ghoussoub
4 min readSep 30, 2019

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Crédit Anick R.

JE SUIS POUR L’ENVIRONNEMENT MÊME SI JE NE SUIS PAS UN FAN DE GRETA THUNBERG NI DE L’IDÉE D’ALLER MARCHER EN GROUPE

Depuis vendredi j’ai eu de nombreuses discussions sur Facebook (et dans la vrai vie) avec des gens autour de cette fameuse marche. Mon constat est qu’aujourd’hui, si l’on ose dire que l’on trouve que cette marche n’est pas l’idée du siècle ou qu’elle ne changera pas grand chose, on se fait automatiquement cataloguer comme étant contre l’environnement, contre la planète. C’est faux.

On peut vouloir faire quelque chose de concret pour sauver la planète tout en trouvant que cette marche ne sert au final, pas à grand chose.

Il y a effectivement des manifestations publiques qui ont contribué à changer le monde. À celles qu’on m’a donnée en exemple (Martin Luther King, Ghandi, Mai 68) s’ajoute celle très actuelle des manifestants à Hong Kong. La grosse différence avec toutes ces actions collectives qui ont changé le monde, c’est que les participants ont pris des risques et avaient quelque chose à perdre. Ils se sont engagés! Les gens qui ont fait une petite balade vendredi à Montréal étaient plein de bonnes intentions, mais ils n’ont pas pris beaucoup de risque, ils n’ont pas fait preuve d’un engagement énorme.

Oui, c’est mieux que rien. N’importe quel petit geste vaut mieux que rien. Mais il ne faut pas se raconter des histoires et se faire croire qu’en allant marcher en groupe un après-midi ensoleillé on a contribué concrètement à sauver la planète. De trop se féliciter de nos “mieux que rien” mène souvent à niveler vers le bas et à ne pas tenter quelque chose de plus difficile.

Je l’ai dit et je le répète, le problème c’est que les gens espèrent que quelqu’un d’autre (le gouvernement, les corporations) vont faire quelque chose et que la planète pourra être sauvée sans qu’eux-même ne fassent de gestes concrets, de sacrifices individuels.

Déjà si les gens arrêtaient de prendre un gobelet de carton tous les matins au Tim Hortons et amenaient leur tasse, ça aurait un impact immense car non, ces gobelets ne sont pas vraiment biodégradables, ils sont blanchis au chlore et revêtus d’une cire. De plus, 70% des déchets solides dans les dépotoirs sont du papier et du carton. Si les gens arrêtaient d’acheter des bouteilles en plastique. S’ils achetaient des produits bio d’ici plutôt que des produits étrangers et de la viande locale d’une ferme comme Valens ou Rheintal plutôt que des poulets à 2.50$ chez Maxi, ont commencerait déjà à avancer. S’ils achetaient des produits de compagnies éco-responsables comme Patagonia ou Stonyfield et s’ils faisaient des dons à des organismes qui font des actions concrètes comme les Sea Shepherds. S’ils achetaient des produits plus chers mais durables plutôt que des cossins sur Ali Express et des vêtements jetables qui finiront aux poubelles quelques semaines plus tard. Toutes des actions concrètes à la portée de tout le monde.

Mais je n’ai pas vu 500 000 personnes ni même 100 000 passer à l’action de cette façon.

Quand les gens prendront vraiment l’environnement au sérieux, ils vont faire des actions concrètes, s’engager et voter avec leur argent. Là les corporations comme les gouvernements vont emboiter le pas. À ce moment, le monde va changer. Pas avant.

Je vous laisse sur les sages parole écrites il y a presque 200 ans et toujours d’actualité:

« Des milliers de gens sont opposés en opinion à l’esclavage et à la guerre, mais ils ne font rien, en effet, pour y mettre un terme; ils s’asseyent les mains dans les poches en déclarant qu’ils ignorent quoi faire et ne font rien; ils subordonnent même la question de la liberté à celle du libre-échange et lisent tranquillement les cours des prix en même temps que les dernières nouvelles du Mexique après dîner et, qui sait, s’assoupissent sur les deux. Quel est le prix courant d’un homme honnête et d’un patriote aujourd’hui? Ils hésitent, et ils regrettent et parfois ils font des pétitions; mais ils ne font rien d’ardent et d’efficace. Ils attendent, pleins de bonne volonté, que d’autres portent remède au mal, qu’ils n’aient plus à le regretter. Au mieux, ils donnent une voix bon marché, un renfort chétif et un « bon voyage! » au bon droit quand il passe à leur hauteur. Il y a neuf cent quatre-vingt-dix-neuf professeurs de vertu pour un homme vertueux. Mais il est plus commode de traiter avec le véritable possesseur d’une chose qu’avec son gardien temporaire.

Tout vote est une sorte de jeu, comme le jeu de dames ou le backgammon, teinté d’une légère nuance morale, un jeu entre le juste et l’injuste, comportant des questions morales; et cela s’accompagne naturellement d’un pari. Le caractère des votants, lui, n’est pas en jeu. Je vote peut-être selon mon idée de la justice; mais que celle-ci l’emporte ne me concerne pas dans ma chair. J’accepte de m’en remettre à la majorité. Son obligation, en conséquence, n’excède jamais celle de l’utilité. Même voter pour la justice, ce n’est rien faire pour elle. C’est se contenter d’exprimer un faible désir de la voir prévaloir. Le sage ne laissera pas la justice à la merci du hasard, il ne souhaitera pas la voir l’emporter par le pouvoir de la majorité. Il y a peu de vertu dans l’action des masses d’hommes. Quand la majorité finira par voter l’abolition de l’esclavage, ce sera parce qu’elle lui sera indifférente ou parce qu’il en restera peu qui soit abolit par ce vote. Ce seront eux les seuls esclaves. La seule voix qui puisse hâter l’abolition de l’esclavage est celle de l’homme qui engage par là sa propre liberté. » — Henry David Thoreau, La désobéissance civile, 1849

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