L’art de décrocher
Depuis la venue d’Internet il y a une trentaine d’années, des téléphones cellulaires, puis des téléphones “intelligents” et maintenant de la constellation de satellites qui gravitent en orbite basse pour nous garder artificiellement “connectés” 24/7, il existe de moins en moins d’endroits où s’échapper du cordon électronique qui nous relie et souvent nous attache au reste du monde artificiel que nous nous sommes créé.
Source constante de distraction et de micro-stress, nous sommes sans cesse bombardés de notifications et de messages via nos trop nombreuses applications: emails, textos, Messenger, Facebook, LinkedIn, Instagram, YouTube, Threads, Twitter/X, Snapchat, WhatsApp, Teams, Asana et toutes les autres.
D’un côté, c’est un outil merveilleux qui a permis bien des échanges, bien des avancées et certains gains de productivité. D’un autre côté, nous sommes davantage stressés, constamment distraits et complètement éparpillés. Nous avons développé un déficit d’attention artificiel et menons des vies trop souvent décousues, réactives et qui manquent cruellement de profondeur.
« Nous menons tous des vies absurdes, grotesques et dérisoires, mais comme nous les menons tous en même temps, nous finissons par les trouver normales. » — Frédéric Beigbeder, Vacances dans le coma
On oublie parfois que nous ne sommes pas des machines et que notre productivité n’est ni linéaire, ni constante et qu’elle fluctue. Les périodes d’efforts doivent être suivies de repos. En tant qu’humains, nous avons ponctuellement besoin ralentir afin de s’offrir des périodes d’introspection et de réflection pour nous recentrer, remettre les pendules à l’heure et abaisser nos niveaux de stress.
C’est pour ça que les vacances sont si importantes. Je l’ai découvert à mes dépends, jeune entrepreneur workaholic que j’étais. Ma santé mentale m’a un jour forcé à prendre des vacances et je suis passé du jour au lendemain de zéro à sept semaines de vacances par an. Une habitude que j’ai gardée depuis. Mes affaires ne s’en portent que mieux. Sans parler de ma santé physique et mentale.
Mais voilà, prendre de vraies vacances devient presqu’impossible dans un monde hyper connecté. On se retrouve à lire ses emails sur la plage ou à répondre au téléphone au chalet. On scanne nos emails à l’hôtel tôt le matin pendant que les enfants dorment encore. Et insidieusement, on se retrouve à avoir pris des demi-vacances. On s’en accomode tant bien que mal — parce que tout le monde le fait. Mais l’impact à long terme est terrible. En plus c’est contre productif.
Se débrancher, prendre de vraies vacances déconnectées est le dernier luxe. Et c’est aussi essentiel pour notre équilibre— et notre productivité à long terme. Personnellement, je m’impose au moins 4 semaines par année complètement déconnectées. Pas d’internet, pas de téléphone.
Pour ne pas être tenté, je me sauve loin de tout: à la pêche sur des lacs perdus entre les épinettes du nord québécois, en voile dans des iles désertes des Caraïbes ou encore en montagne dans l’Est des USA.
Et vous savez quoi? Après plus de vingt ans de ce régime, rien de grave n’est arrivé. Au contraire.
La question qu’on me pose le plus souvent: “Et ton entreprise?”
Si vous ne pouvez pas vous absenter une semaine sans que cela ne crée de graves problèmes; c’est que vous avez mal structuré votre entreprise, vous ne savez pas déléguer et/ou vous n’avez pas les bons associés et employés.
J’ai une grande nouvelle pour vous. Vous n’êtes pas si important que ça. Et moi non plus. La terre tournait avant notre naissance et elle continuera de tourner après notre mort.
Au temps d’Uranium/U92, j’avais une cliente de chez Danone, Michèle Morin, qui avait compris tout ça. Elle nous disait de me pas trop stresser avec les échéanciers: “On vend du yogourt, on ne sauve pas des vies.” Ça ne nous a pas empêché de faire du bon travail: les sites web que nous avons développé pour Danone Canada ont été, à cette époque, le benchmark pour le groupe Danone dans le monde.
Je vous souhaite d’avoir des clientes comme Michèle.
Plus tard, j’ai eu une discussion avec un nouvel associé qui s’inquiétait de me voir partir en vacances. Il m’a demandé: “Comment je te rejoins pendant tes vacances?” Je lui ai dit que j’allais à la pêche dans le nord du Québec et qu’il n’y avait pas de couverture cellulaire dans ce coin-là. Mais il insistait: “Si c’est vraiment important?” J’ai griffonné des chiffres sur un papier et je lui ai donné. “Mais c’est pas un numéro de téléphone!” Non, c’est les coordonnées GPS du lac sur lequel je serai. Si c’est vraiment important, nolise un hydravion et viens me rejoindre. Vous avez deviné qu’il n’est jamais venu.
L’autre question qu’on me pose souvent: “Et tes enfants?” Si mes enfants ne sont pas avec moi, c’est qu’ils sont avec des gens en qui j’ai 100% confiance: leur mère, leur oncle ou leur tante, leurs grand-parents ou des bons amis à moi. Je leur fais confiance pour gérer les problèmes et les urgences. Sinon je ne leur confierait pas mes enfants. De toutes façon, ce que je pourrais régler au téléphone à plusieurs milliers de kilomètres de distance est assez limité. Et puis ça enseigne aussi à mes enfants à se débrouiller sans moi, ce qui fait partie de ma job de parent et sera utile pour eux quand je ne serai plus là.
Est-ce qu’il y a un risque à ne pas pouvoir être rejoint pendant quelques jours? Oui, bien sûr. Mais il est bien moins important que le risque — pour sa santé et son bonheur — de ne jamais prendre de vrais vacances.
Je vous laisse avec un beau poème de Derek Sivers sur les voyages et le temps qui passe. Parce qu’il ne passe qu’une fois et qu’il faut en profiter pendant qu’il est encore temps.
Cross the world four times
First, in your teens or 20s, to take it all in. See it all, do it all, and learn. Get involved. Stay up all night talking with strangers, everywhere. Kiss and fall and promise to them all. Make lots of mistakes.
Cross the world the first time to fall in love.
The second time, in your 30s, to tell everyone what you’ve learned. You’re full of answers, since you’ve done so much. You know how things should be, since you’ve made all your mistakes. You can see the path clearly, and it’s your turn to lead.
Cross the world the second time to make change.
The third time, in your 50s, to compensate. You realize what a blow-hard you were in your 30s, and how little you actually know. You’ve been humbled. It’s time to make up for years of thinking others were wrong. Pay close attention and listen without judgement for once. Have no answers — only good questions and good ears.
Cross the world the third time to unlearn.
The fourth time, late in life, to witness. To find old friends, and find that they’re gone. To see what’s changed, and what’s stayed the same. To appreciate the young. The world is theirs, not yours. Now you know what happens when you die: everything! Evolution, revolutions, inventions, disasters, so much love, and so many lives. You just won’t be part of it anymore.
Cross the world the last time to say goodbye.