La fausse bonne idée
Je viens de voir passer l’article de Francis Vailles Interdire les publicités de VUS dans La Presse.
Je pense que c’est une fausse bonne idée.
D’abord parce que je n’aime pas un gouvernement qui me dicte ce qui est bon ou mauvais. C’est une pente dangereuse. Si on interdit la publicité ou si on met des lois en travers de l’achat des Véhicules Utilitaires Sports (VUS) — comme on l’a fait dans le passé pour les cigarettes (interdiction de publicité, avertissement graphiques sur les paquets), mais aussi pour les motos (plaques et permis très chers), pourquoi s’arrêter là?
Et les déplacements en avion qui sont super polluants, et le sucre blanc qui est mauvais pour la santé, et le fast food, et les millions de goblets en carton jetables du Tim Horton, et les emballages en carton des GoodFood et autres services alimentaires, et les cossins jetables commandés sur AliExpress, et les vêtements cheap qui seront portés 3 fois, et les sapins de Noël, et tous ces cartons des produits achetés en ligne, et les piscines, et l’huile de palme dans les aliments, et la viande dont la production taxe l’environnement, et ces aliments dont la production taxe davantage la planète que celle de la viande: le thé, le café, le chocolat et le vin…
Il y a beaucoup à faire pour l’environnement, mais j’aimerais faire mes choix moi-même plutôt que de me les faire imposer par mon gouvernement, aussi bien intentionné soit-il.
Aussi, on légifère juste la publicité pour les VUS à essence ou aussi pour les VUS hybrides et 100% électriques comme il y en a de plus en plus?
J’ajoute qu’il est faux de croire que la majorité des acheteurs de VUS achètent l’image vendue par la publicité. Ce ne sont pas tous des machos obtus qui se sentent supérieurs et invincibles dans leur grosse machine. Il y a beaucoup de gens qui achètent un VUS car ils en ont besoin. Je parle pour moi par exemple. Je me déplace en métro quand je viens en ville, mais j’ai aussi un camp de chasse au Témiscamingue, à 800km de chez moi, où je vais à la pêche et à la chasse avec mes deux grands enfants, mon chien et le matériel et la bouffe pour plusieurs jours. Je remorque aussi une chaloupe. Je ne peux pas y aller en métro ni avec une sous-compacte. Je vais également en randonnée en montagne, en ski et parfois visiter les coins reculés du Québec comme l’Archipel de Mingan et les barrages de la Baie James.
Avoir une petite voiture électrique, ou mieux, se passer de voiture; c’est le rêve de sédentaires urbains et il ne correspond pas à la réalité des nombreux Québécois qui vivent en région.
Si le gouvernement veut faire quelque chose pour l’environnement, voici quelques pistes de solution:
- Améliorer le transport en commun: aujourd’hui, c’est loin d’être optimal et on est loin de ce qui se fait en Europe. Par exemple, à la station de métro que j’utilise (Montmorency, à Laval), cela fait 15 ans que le stationnement est plein dès 6h le matin. Au fil des ans, j’ai écrit à diverses instances à ce sujet, rien n’a été fait pour améliorer la situation.
- Électrifier tout le parc automobile des sociétés d’État. Pas sur 5 ans. Tout de suite! Rien de tel que de prêcher par l’exemple.
- Développer le réseau de stations de recharge électrique à travers la province. Subventionner au besoin les régions éloignées. Ça non plus, ça ne devrait pas prendre 10 ans. Ça va sûrement inciter plusieurs personnes, moi le premier, à opter pour un VUS électrique comme le Ford F-150 Lightning par exemple.
- Améliorer la qualité du réseau routier. Ça a l’air contre-productif, mais s’il y avait moins de trous dans les routes, il y aurait moins de gros VUS. Parlez-en à tous ceux qui ont des voitures avec des pneus profil bas. J’ai fait partie de ce groupe et ça me coûtait un ou deux pneus par année pour circuler à Montréal. Parfois une jante aussi.
- Encourager le travail à distance: d’abord dans les sociétés d’État et ensuite par des subventions pour les entreprises. En plus d’augmenter la productivité, le travail à distance réduit la pollution, réduit l’usure du réseau de transport et améliore la santé des travailleurs.
- Taxer les voyages en avion: voilà une industrie polluante.
- Taxer les aliments qui ont un fort impact environnemental tels que viande, thé, café, cacao et vin.
- Interdire les emballages et gobelets jetables (ou salement les taxer). Ne vous faites pas d’illusion en vous disant que votre gobelet de café est en carton. Il est extrêmement polluant: il a été blanchi avec du chlore, traité avec une cire et autres produits chimiques et à 95% il va finir dans un dépotoir où il ne se décomposera pas car il sera enfoui sous des tonnes de déchets.
- Forcer les services alimentaires comme GoodFood à utiliser des boites et des icepacks réutilisables. Possiblement avec une consigne. Ça a déjà été fait avec succès dans le passé par d’autres services similaires.
- Optimiser le recyclage — et informer les québécois sur ce qui se passe avec le contenu de leur bac de recyclage. Ça les aiderait peut-être à mieux le remplir.
En toute honnêteté, je crois que n’importe laquelle de ces mesures donnerait de meilleurs résultats que de tenter de légiférer la publicité sur les VUS.
« Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l’avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » — Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1840)