Afghanistan, une guerre pour rien?
« Un écrivain américain, dans son récit d’un voyage fait en Afghanistan en 1925, Beyond Khyber Pass, parle d’un historien afghan qui lui dit : « Tu es étranger et tu rempliras notre pays de machines et de fumée, tu rendras égaux esclaves et maîtres et tu détruiras la vraie religion… pas toi, mon ami, mais le destin que tu apportes avec toi. » » — Tiziano Terzani, Lettres contre la guerre
Depuis le retrait des américains d’Afghanistan il y a quelques jours et la conquête éclair du pays par les Talibans, les médias nous diffusent en boucle des scènes de chaos à Kaboul.
Beaucoup s’indignent de la façon dont les Américains ont abandonné leurs alliés Afghans et laissé à leur sort des milliers de soldats, fonctionnaires et autres aides qui ont travaillé à leurs côtés pendant 20 ans.
Nombreux également sont ceux qui s’inquiète du sort du pays et principalement des femmes Afghanes que la prise de pouvoir par les Talibans renvoie dans un sombre moyen-âge.
D’un autre côté, il y a ceux qui pensent que les Américains n’auraient jamais du mettre les pieds en Afghanistan; soit parce qu’ils auraient mieux fait de s’occuper de leurs problèmes à la maison ou encore parce que partout où ils vont en conquérants pour tenter d’imposer leur vision et leurs valeurs capitalistes et occidentales pour sauver le monde en amenant la démocratie, ils foutent la merde et laissent les pays dans un pire état que ceux dans lesquels ils les ont trouvés.
Et que dire des jeunes soldats américains (et canadiens) qui y sont morts ou en sont revenus gravement blessés (physiquement et mentalement)? Au moins 3200 soldats américains ont perdu la vie durant le conflit qui a duré 20 ans, et ce chiffre ne tient pas compte du nombre de “contractuels” (mercenaires privés américains) qui y ont aussi laissé leur peau et qui sont, au final, des soldats eux aussi; mais avec un contrat de travail différent, une meilleur paye mais pas de pension et autres avantages et surtout, qui n’apparaissent pas dans les statistiques. War is old men talking, and young men dying.
Le conflit aura également causé la mort de plus de 100 000 Afghans, principalement des civils.
Alors pourquoi les Américains sont allés en Afghanistan? Est-ce qu’ils auraient dû y rester plus longtemps? Est-ce qu’au final, cela a contribué a quelque chose de positif comme aimeraient le penser les soldats américains et canadiens qui en sont revenus blessés et y ont perdu des camarades?
Personne, je crois, n’a de réponses définitives; mais pour essayer d’y voir plus clair, je vous recommande 5 excellents livres qui donnent une perspective plus large sur le sujet.
Leur lecture ne vous donnera pas nécessairement toutes les réponses, mais elle vous donnera davantage de repères pour essayer d’y voir un peu plus clair dans cette guerre qui n’a rien de simple.
1. Lettres contre la guerre (Tiziano Terzani 2002)
Pour la vision et la sagesse d’un (très) grand reporter spécialiste de l’Asie qui, à la fin de sa carrière, était sur le terrain quand les américains ont débarqué en Afghanistan. À sa publication, ce livre a connu un immense succès en Europe et a été traduit en plusieurs langues — sauf l’anglais; les éditeurs britanniques et américains ayant décidé de le bouder. L’auteur a donc financé lui-même une traduction anglaise de son livre qu’il a ensuite distribuée gratuitement sur Internet.
« L’indifférence générale devant ce qui arrive aux Afghans, mais en réalité à nous-mêmes, sans que nous nous en rendions compte, a des origines profondes. Des années de matérialisme effréné ont réduit et marginalisé le rôle de la mort dans notre vie, en faisant de valeurs telles que l’argent, le succès et le profit personnel le seul critère d’appréciation. Faute de temps pour réfléchir, toujours pris dans l’engrenage d’une vie de compétition qui laisse de moins en moins de place au privé, l’homme de bien-être et de consommation a perdu en quelque sorte la capacité de s’émouvoir et de s’indigner. Il se concentre entièrement sur lui-même, il n’a plus d’yeux ni de cœur pour ce qui se passe autour de lui. » — Tiziano Terzani, Lettres contre la guerre
2. CIA et Jihad 1950–2001 (John K. Cooley 2002)
Pour comprendre comment les Américains, avec l’aide de leur allié local, Osama Bin Laden, ont financé le jihad et l’extrémisme religieux pour sortir les Soviétiques athées d’Afghanistan. Comment, avec leur expérience de la guerre du Viet-Nam, ils ont montré aux Afghans à cultiver le pavot et à produire de l’héroïne. Comment les soldats russes ont ramené la drogue et ses problèmes à la maison et comment cela a contribué à la chute de l’empire soviétique et le comeback de l’héroïne à l’échelle mondiale grâce à la nouvelle “Mafia Russe”.
3. The Revenge of Geography (Robert D. Kaplan 2013)
Un livre fascinant sur l’importance du territoire. Suite à la guerre des Balkans, beaucoup de stratèges militaires et politiques pensaient que la modernité et l’aviation avaient réduit à néant l’importance du terrain. La récente guerre d’Afghanistan a remis les pendules à l’heure. L’auteur démontre l’importance de l’environnement sur le caractère des peuples et ultimement sur leur destinée.
For even if we can send satellites into the outer solar system — and even as financial markets and cyberspace know no boundaries — the Hindu Kush still constitutes a formidable barrier.
4. La petite cuillère de Schéhérazade (Stéphane Allix 1998)
Stéphane Allix est allé sur le terrain suivre le chemin de la drogue, de l’Afghanistan jusqu’en Europe. À travers ses rencontres avec les cultivateurs, les bandits, les trafiquants, les douaniers, les soldats et les junkies, il décortique non seulement le parcours; mais également les causes profondes et les impacts insoupçonnés de ce commerce.
5. Licensed to Kill (Robert Young Pelton 2007)
C’est l’histoire de l’ascension des mercenaires privés, les “contracteurs” et de leur rôle grandissant dans les guerres modernes. Des soldats de fortune qui font le sale boulot pour l’armée américaine et enrichissent des compagnie obscures comme Blackwater et Triple Canopy dirigées par des individus peu recommandables comme Erik Prince. Il y est aussi des risques que représentent ces grandes armées privées; non seulement pour les conflits internationaux, mais également pour la sécurité intérieure des USA.
“Everybody is making money here, except the soldiers fighting the war.”
“Dans toutes les guerres, la vérité est la première à mourir.” — Tiziano Terzani, Lettres contre la guerre